Le marché de l’ameublement évolue dans un contexte particulièrement complexe. Entre crise immobilière persistante, inflation durable et nouvelles attentes des consommateurs, la filière doit s’adapter pour préserver sa dynamique.
Une intervention, menée en ouverture du salon, a donné la parole à Christophe Gazel, directeur général de l’IPEA (Institut de prospective et d’études de l’ameublement), qui a livré une analyse lucide sur les tendances en cours, les comportements d’achat post-Covid, l’essor de la seconde main et les perspectives pour 2025.
Une filière sous tension… mais encore debout
Dans un climat économique perturbé par la baisse du pouvoir d’achat et la crise de l’immobilier, le secteur de l’ameublement semble paradoxalement mieux résister que prévu. L’IPEA a d’ailleurs annoncé depuis le salon une baisse du marché de 6,1% en 2024. Le lien est évident : quand les transactions immobilières ralentissent, les achats de meubles suivent mécaniquement. Pourtant, le secteur fait preuve de résilience, porté par une demande toujours présente, bien que plus sélective.
Le consommateur ne cède plus uniquement à l’effet "waouh" ou à une impulsion esthétique : « Il veut désormais un meuble utile, fonctionnel, qui s’intègre dans un usage quotidien », souligne Christophe Gazel. Cette évolution de la demande appelle à une transformation en profondeur de l’offre, avec plus de pédagogie et de valeur ajoutée dans le discours des marques.
Télétravail et transformation de l’habitat
Le télétravail, hérité de la crise sanitaire, a marqué un tournant dans l’aménagement des foyers français qui sont concernés par ce changement de pratique. Si, dans un premier temps, il s’est traduit par des achats d’appoint (tables, chaises basiques), le consommateur cherche désormais à structurer un véritable espace de travail à domicile. « Il ne s’agit plus seulement d’avoir un coin pour poser son ordinateur, mais d’un espace ergonomique, modulable, intégré dans le séjour ou une pièce dédiée », précise Christophe Gazel.
Cette tendance s’inscrit dans une reconfiguration plus large de l’habitat : les Français ne pensent plus en mètres carrés, mais en mètres cubes. C’est l’avènement du rangement intelligent, des solutions d’agencement personnalisées, et de l’usage croissant des configurateurs 3D. « Les outils digitaux doivent accompagner cette transformation : je configure chez moi, en famille, depuis mon canapé, et je finalise l’achat en ligne ou en magasin. Mais il reste encore trop de ruptures dans ce parcours client », déplore-t-il.
L’essor de la seconde main : une nouvelle donne
Sujet brûlant dans tous les secteurs, la seconde main s’impose désormais comme un véritable concurrent au meuble neuf. Et la France est championne d’Europe : « Un meuble sur quatre acheté en 2024 sera un meuble d’occasion », révèle Christophe Gazel, sur la base d’une enquête menée auprès de 15 000 ménages dans 10 pays européens.
Ce marché est alimenté notamment par la revente de meubles issus de la grande distribution, facilitée par des plateformes comme Leboncoin ou Facebook Marketplace. Pour certains publics, comme les étudiants, revendre un meuble est souvent plus simple que de le déménager. L’enjeu pour les acteurs traditionnels ? Structurer cette offre secondaire. « Des distributeurs s’y intéressent. Certains l’ont même fait sans le savoir en reprenant les anciens meubles de leurs clients pour les donner à des associations », explique-t-il. L’exemple de la start-up Isidor, soutenue par la distribution mais récemment fermée, illustre toutefois la complexité logistique de ce modèle.
Une conscience écologique encore limitée
Si la seconde main est bien implantée, ses motivations restent majoritairement économiques. « 70 % des achats d’occasion sont motivés par le prix, pas par des raisons environnementales », tempère Christophe Gazel. Le levier écologique, s’il est souvent brandi, pèse encore peu dans la décision finale du consommateur.
Même la génération Z, réputée engagée, adopte des comportements très opportunistes : achat sur Vinted, usage de courte durée, revente rapide. « Avec le même budget, elle consomme plus. Et sans vraiment considérer l’impact du transport ou de la logistique », souligne-t-il, dénonçant le paradoxe d’un modèle à l’empreinte carbone pourtant discutable.
2025 : une année de renouvellement plus que d’équipement
Pour l’année 2025, les perspectives restent prudentes. Le marché de l’immobilier, en panne, ne jouera pas son rôle habituel de locomotive. « Il faudra faire sans cet effet d’appel, qui représente environ un tiers des ventes de meubles », affirme Christophe Gazel. En revanche, l’élan post-Covid, avec son lot de projets de réaménagement, continue d’alimenter un marché de renouvellement, particulièrement favorable aux acteurs positionnés en milieu et haut de gamme.
Mais sans achat contraint, il faudra miser sur l’envie. Et pour cela, les marques devront aller au-delà du simple affichage prix-produit. « Le secteur sait très bien communiquer sur les promotions, mais il est temps de raconter autre chose », insiste Christophe Gazel. L’émotion, l’histoire du produit, son utilité dans la vie quotidienne, son impact environnemental et sa durabilité : autant de leviers pour créer de la valeur et reconquérir un consommateur plus exigeant.
Vers un nouveau récit de l’ameublement
L’édition 2024 d’EspritMeuble a donné des signaux positifs. « Ce matin, j’ai vu sur les stands une volonté de raconter autre chose, de mettre en avant la qualité, l’usage, l’innovation. C’est très encourageant », conclut Christophe Gazel.
La transformation est en marche. Le marché résiste, mais il appelle à plus de pédagogie, de créativité, et surtout à un récit renouvelé. Pour séduire un consommateur en quête de sens, c’est désormais sur la valeur d’usage, l’histoire du produit et la qualité de l’expérience client que se jouera la croissance. Une mutation profonde, qui est au cœur des échanges tout au long du salon… et toute l'année.
EspritMeuble
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