Fabriquer du mobilier autrement : plus durable, plus local, plus responsable. Ce mardi à EspritMeuble, la conférence “Défis et opportunités de l’éco-conception” a mis en lumière deux trajectoires inspirantes. Deux jeunes entreprises qui ont fait de l’éco-conception le cœur de leur démarche industrielle et créative.
Organisée sur M Studio, au cœur du Hall 1 de Porte de Versailles, cette table ronde a été menée en partenariat avec le magazine Archistorm. Elle a réuni Thibaut Jean-Baptiste, fondateur de Furniture For Good, et Souleimen Midouni, designer et co-fondateur de Niveau Zéro Atelier, pour évoquer leur vision de l’éco-conception, entre engagement de fond et pragmatisme de marché.
Une conviction fondatrice
Thibaut Jean-Baptiste est venu à l’éco-conception par nécessité : « L’idée a germé en 2015 lors de la COP21, où je gérais le mobilier événementiel. Nous avions 10 000 m² de stock, toutes les grandes marques y étaient, mais aucune solution vraiment durable à proposer ». C’est en 2018 qu’il découvre Le Pavé, une start-up spécialisée dans la transformation de déchets en plaques plastiques. De cette rencontre naît Furniture For Good en 2019. Son objectif ? Transformer les déchets du quotidien en mobilier durable : « Bidons de lessive, bouchons de bouteille, gaines électriques, coquilles d’huîtres… Notre but est de valoriser des déchets habituellement non recyclés ».
De son côté, Souleimen Midouni, fraîchement diplômé lorsqu’il co-fonde Niveau Zéro Atelier avec Simon Chaouat, s’inscrit dans une démarche éthique et pragmatique : « Quand on est jeune et qu’on a peu de moyens, se tourner vers les matériaux délaissés est une manière concrète de créer sa place sur le marché ». Leur studio, à la croisée du design, de l’architecture et de la recherche, privilégie une approche ancrée dans le territoire : « On part toujours du matériau local, du savoir-faire disponible. On ne plaque pas un concept abstrait sur une réalité industrielle ».
Une opportunité industrielle et économique
Les deux intervenants s’accordent : l’éco-conception n’est plus une option, c’est une attente croissante du marché. Mais attention à ne pas s’arrêter à la seule matière recyclée.
Thibaut Jean-Baptiste insiste : « L’éco-conception, ce n’est pas juste mettre des matériaux recyclés. C’est penser le cycle de vie complet du produit ». Un exemple frappant ? La réparabilité : « Un client avait commandé 7 000 chaises dont les assises étaient cousues. Deux ans plus tard, elles étaient inutilisables. Nous, nous avons conçu une galette d’assise amovible, lavable et remplaçable. Ce sont de petits détails qui changent tout ».
Pour Souleimen Midouni, l’économie de moyens est aussi un levier créatif : « Notre pratique est née de l’expérimentation. On conçoit parfois nos propres machines, on détourne les processus industriels pour les adapter à nos besoins. C’est un travail de précision et d’observation ».
Loin d’être un frein, l’éco-conception devient un avantage compétitif. Furniture For Good équipe déjà des entreprises du CAC40 et des collectivités publiques. En septembre dernier, elle a remporté le marché de l’UGAP, centrale d’achat de l’État, ce qui lui ouvre désormais les portes de nombreuses mairies, écoles ou administrations.
Passer de la curiosité à la norme
Lorsque Thibaut Jean-Baptiste s’est lancé en 2019, il a été bien accueilli : « Il y avait de la curiosité, de la bienveillance. Mais très vite, il faut faire ses preuves. Les professionnels attendent des produits fiables, normés, durables ». Aujourd’hui, l’entreprise s’apprête à ouvrir sa première usine dans le Val-d’Oise : « Notre chaise, qui coûtait 100 € à produire il y a quatre ans, est vendue aujourd’hui à ce prix. Les volumes, les partenariats industriels, et bientôt notre propre outil de production nous permettent de réduire les coûts ».
Même constat du côté de Souleimen Midouni : « Il y a quelques années, on pouvait encore facturer un peu plus cher un produit éco-conçu parce qu’il racontait une histoire. Aujourd’hui, c’est devenu un prérequis. Il faut rester compétitif en prix, en qualité, et en délai ».
Vers une nouvelle filière
Tous deux insistent sur l’enjeu de structuration de la filière. Thibaut Jean-Baptiste résume : « Ce n’est pas seulement créer des produits recyclés. C’est créer tout un écosystème. Il faut que les filières de collecte, de transformation, de certification suivent. C’est un travail collectif ».
Pour Souleimen Midouni, l’approche doit être systémique : « Nous segmentons nos projets entre recherche expérimentale et commandes concrètes. On infuse les enseignements du premier dans le second. Et surtout, on reste en prise directe avec les fabricants et artisans. L’éco-conception passe par la co-construction ».
Éco-responsabilité et ambition
La conférence s’est conclue sur une note d’optimisme et de responsabilité. « On ne peut pas opposer économie et écologie. L’un ne peut plus aller sans l’autre », affirme Thibaut Jean-Baptiste. Pour lui, le mobilier durable est celui qui dure, qui est pensé pour être réparé, recyclé, transmis. Le défi est de taille, mais la dynamique est lancée.
Les prochains mois seront décisifs pour Furniture For Good, avec l’ouverture de l’usine et le déploiement dans le secteur public. Du côté de Niveau Zéro Atelier, les projets se multiplient, entre appels d’offres, créations pour galeries et recherches sur les matériaux.
Un constat s’impose : l’éco-conception n’est plus une niche, c’est une réalité industrielle, exigeante mais porteuse d’innovation. Et elle place la filière ameublement française face à une opportunité historique de transformation.
EspritContract
Visionner la vidéo de la table ronde : Défis et opportunités de l'éco-conception
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