Depuis plusieurs années, les lignes entre le mobilier résidentiel et professionnel s’estompent. L’émergence du télétravail, l’évolution des modes de vie et les attentes en matière de confort et de durabilité transforment l’offre du secteur. Comment les marques, éditeurs et designers repensent-ils leurs produits pour répondre à cette nouvelle donne ? Réunis au Studio M d’Esprit Contract, trois acteurs majeurs ont partagé leur vision.
Cette table ronde a été organisée en partenariat avec Intramuros, représenté par son rédacteur en chef Frédéric Marty. À ses côtés, trois invités de premier plan : Karin Gintz, Directrice Générale de Vitra France ; Jason Brackenbury, Président de Flos France ; et Frédéric Sofia, designer emblématique, notamment connu pour sa réinterprétation de la chaise Luxembourg.
La fin des frontières entre univers résidentiel et professionnel
Dès les premières minutes, le constat est unanime : les usages évoluent, les lieux de vie se mélangent.
Karin Gintz rappelle que cette transversalité fait partie de l’ADN de Vitra : « Nous avons toujours eu une seule marque, avec des produits pensés autant pour la maison que pour le bureau. Aujourd’hui, on ne conçoit plus un produit pour un seul lieu. Le même objet doit pouvoir exister dans des contextes différents. »
Chez Flos, Jason Brackenbury observe une tendance similaire : « Le COVID a accéléré un besoin d’espaces de travail plus accueillants, plus chaleureux. On ne peut plus éclairer un bureau comme avant avec des solutions uniquement techniques ou uniquement domestiques. »
Un glissement des usages confirmé par le designer Frédéric Sofia, pour qui cette porosité est aussi une source de liberté : « Il n’y a plus vraiment de limites. Le mobilier professionnel peut devenir tendance dans le résidentiel et inversement. Ce métissage des typologies est passionnant. »
Le contract, un secteur exigeant et en mutation
L’exemple emblématique de la chaise Luxembourg illustre parfaitement cette capacité d’adaptation. Créée à l’origine sans plan, puis redessinée par Frédéric Sofia, elle a su s’imposer aussi bien dans les jardins publics que dans les restaurants, les hôtels ou chez les particuliers.
« Elle répond à des contraintes très fortes : elle est confortable, légère, empilable, inoxydable. Mais surtout, elle a une forme de mémoire. Elle parle aux gens, elle est ancrée dans l’inconscient collectif », souligne Frédéric Sofia.
Une polyvalence qui devient une exigence pour les designers : « Quand on crée un produit aujourd’hui, il doit pouvoir fonctionner dans un open-space comme dans un salon. »
Karin Gintz abonde : « Les canapés comme Anagram, par exemple, sont pensés pour accompagner les changements de vie. Il n’y a pas de face avant, pas de droite ni de gauche. Il est reconfigurable, mobile, et s’intègre aussi bien dans un bureau que dans un salon. »
Le design, outil de reconnexion et de flexibilité
La collection Anagram de Vitra, conçue par Panter&Tourron, est un bon exemple de cette flexibilité. Conçue à partir de modules et d’éléments repositionnables, elle s’adapte à la fois aux mutations de l’espace domestique et aux impératifs du bureau partagé.
« Le produit est végan, fabriqué avec des matériaux recyclables, et conçu pour durer plus de 30 ans », précise Karin Gintz. « C’est presque un flex-office et un flex-home à lui tout seul. »
Du côté de Flos, l’innovation se traduit par la nouvelle gamme Workmates, dédiée à l’éclairage professionnel mais pensée pour s’intégrer dans un intérieur. « C’est une lampe qui suit le rythme circadien de l’utilisateur. Elle évolue au fil de la journée, pour offrir un confort optimal sans sacrifier l’esthétique », détaille Jason Brackenbury.
Écoresponsabilité et circularité : des engagements concrets
Les trois intervenants insistent sur un autre aspect crucial de la création : la durabilité.
« Chez Vitra, 80 % de l’impact environnemental d’un produit se joue à la conception », explique Karin Gintz. « Nos produits sont démontables, réparables, conçus avec des matériaux recyclés ou recyclables, et nous avons une démarche de seconde vie avec le programme Vitra Circle. »
Flos va dans le même sens. « Nous n’utilisons plus de colle. Tout est vissé ou clipsé, pour faciliter la réparation. Nos suspensions comme Almendra sont fabriquées à partir d’un bioplastique issu de la fabrication de l’huile de pépin de raisin », précise Jason Brackenbury.
Mais au-delà de l’innovation matière, la durabilité passe aussi par le lien émotionnel, selon Frédéric Sofia : « Le plus beau geste écologique, c’est de garder un objet. Et pour ça, il faut qu’il y ait une relation affective. Créer ce lien, c’est aussi le rôle du designer. »
Des projets contract qui incarnent cette vision
Les échanges se concluent sur des exemples concrets. Tous les intervenants ont récemment participé à la réouverture du Grand Palais, projet emblématique du patrimoine français.
Jason Brackenbury : « Nous avons fourni une grande partie de l’éclairage du site. C’est un lieu iconique, exigeant, qui demande des solutions techniques de très haut niveau. »
Karin Gintz : « De notre côté, nous avons aménagé les espaces hospitality de Art Basel Paris avec une sélection de classiques et de nouveautés. Le retour a été très positif : les visiteurs restaient plus longtemps, car ils se sentaient bien. »
Enfin, Frédéric Sofia revient avec émotion sur un lieu particulier : « Voir ma chaise installée à Brooklyn Bridge Park, à New York, c’est très fort. Et quand je vois des gens la photographier dans des lieux emblématiques, je me dis que l’objet a vraiment voyagé. »
Un symbole fort d’un design qui traverse les usages, les lieux et les générations.
EspritContract
Visionner la vidéo de la table ronde : Design & usage – vers une transversalité des offres
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