Dans un contexte de marché chahuté, la transversalité entre les différentes pièces de la maison s’impose comme un moteur stratégique pour les distributeurs et industriels du meuble. Cuisine, salon, chambre… ces univers autrefois cloisonnés tendent aujourd’hui à s’interconnecter pour répondre aux attentes d’un consommateur en quête de cohérence, de projet global et d’accompagnement expert.
Organisée au cœur du salon EspritMeuble 2024, cette table ronde, réalisée en partenariat avec Cuisines & Bains, a réuni quatre figures incontournables de la filière pour analyser les mutations en cours dans la distribution et la conception d’espaces de vie. Autour de la table, Benjamin Coppens, rédacteur en chef de Cuisines & Bains, a mené le débat avec le concours de Valéry Cottel, président du Groupe Charles Réma/You Industrie/Ouest Placard, Jean-Benoît Buisson, président du Groupe Maxiam, et Alexandre Traclet, directeur franchisé de trois enseignes : HomeSalons, France Literie et Cuisines AvivA. La session a été animée par Jérôme Libeskind.
La montée en puissance d’une distribution multispécialiste
La dynamique actuelle marque une évolution importante : les spécialistes, autrefois centrés sur une typologie unique de produits, tendent désormais vers une approche multispécialiste. Benjamin Coppens souligne : « La transversalité entre cuisine, living et chambre est devenue un levier stratégique, notamment pour augmenter le trafic en magasin. »
Selon les chiffres de l’IPEA, les spécialistes représentent aujourd’hui environ 25% de la distribution d’ameublement. Après des années de croissance soutenue, la tendance est à la consolidation et à la diversification. « Certains acteurs choisissent de compléter leur offre pour répondre à la baisse de fréquentation en point de vente, et offrir une réponse plus globale aux projets d’aménagement », poursuit Benjamin Coppens.
De la spécialisation à la transversalité : choix stratégique ou nécessité économique ?
Le passage à un modèle plus transversal résulte-t-il d’une vision long terme ou d’une adaptation à un contexte économique incertain ? Pour Valéry Cottel, la réponse est claire : « Ce sont nos clients professionnels qui, dès les années 2000, nous ont poussés à élargir notre offre au-delà de la cuisine et de la salle de bain. L’acquisition de la marque Portea en 2010 nous a permis de proposer du rangement sur mesure et de coordonner nos collections. »
Même constat pour Jean-Benoît Buisson, qui replace l’évolution dans une perspective historique : « Il y a 50 ans, les généralistes vendaient de tout. Puis la spécialisation s’est imposée. Aujourd’hui, on revient vers une logique plus globale, car le consommateur attend une prise en charge complète de son projet. »
Alexandre Traclet, pour sa part, évoque les contraintes très concrètes du terrain : « La fréquentation est en baisse. Il faut compenser avec du chiffre d’affaires complémentaire. Le client vient avec un projet global, il faut donc une réponse adaptée, avec des vendeurs spécialisés dans chaque domaine. »
Une transversalité maîtrisée, fondée sur l’expertise
Si les enseignes adoptent des stratégies multispécialistes, elles ne renoncent pas à l’expertise pointue propre à chaque univers. « Chez nous, chaque vendeur reste dans son domaine. Un conseiller cuisine ne va pas vendre du canapé. Il y a un passage de relais entre les univers, mais chacun reste spécialiste », précise Alexandre Traclet, qui a conçu ses magasins avec des arches communicantes entre les différentes enseignes.
Pour que cette transversalité fonctionne, la coordination des gammes devient essentielle. « Nous avons travaillé sur l’unicité des produits entre Charles Réma, Industrie et Portea pour permettre une cohérence esthétique entre cuisine et rangement », explique Valéry Cottel. « Aujourd’hui, les cuisines sont souvent ouvertes sur le salon. Il faut que les styles se répondent. »
Du côté des industriels, l’enjeu est également technique. « Le placard sur mesure nécessite des compétences spécifiques, notamment dans l’analyse technique avant fabrication. Mais sur le plan industriel, les savoir-faire entre cuisine et rangement sont très proches », ajoute Valéry Cottel.
Le consommateur, moteur de la transformation
Tous les intervenants s’accordent à dire que l’évolution vient d’abord des usages. « Le consommateur a changé. Il est plus informé, il se projette davantage, il prépare ses projets en amont. Et surtout, il attend un accompagnement global », note Jean-Benoît Buisson.
Cette exigence s’étend à l’expérience magasin. « Le client ne veut plus être bousculé. Il attend du conseil, de la transparence, une vraie expertise. Et il faut être à la hauteur », observe Benjamin Coppens.
Côté digital, l’intégration d’outils de visualisation 3D permet de répondre à cette attente. « Nous avons installé un casque de réalité virtuelle dans notre magasin Aviva. Cela permet au client de se projeter avec l’ensemble de notre offre dans son propre espace », illustre Alexandre Traclet.
Une tendance structurelle, pas une simple mode
À la question de la pérennité de cette tendance, Jean-Benoît Buisson se veut affirmatif : « Ce n’est pas un effet de cycle, c’est une tendance structurelle. L’évolution des modes de vie, la transformation des familles et la volonté d’être propriétaire modifient durablement la manière dont les Français conçoivent leur habitat. »
Même vision chez Valéry Cottel, qui rappelle que « le digital pousse le consommateur à monter en compétence. En face, il faut des professionnels formés, pointus, capables de répondre à une demande exigeante. »
Et la salle de bain dans tout ça ?
Curieusement, une pièce semble échapper à cette transversalité : la salle de bain. Pour Jean-Benoît Buisson, la réponse est simple : « C’est à cause du plombier ! La salle de bain, c’est technique, contraignant, et souvent peu rentable. »
Valéry Cottel partage cette analyse : « C’est un petit chiffre d’affaires, avec beaucoup de complexité en termes de travaux. Ce n’est pas un terrain naturel pour les cuisinistes, contrairement au rangement sur mesure. »
Conclusion : une réponse à une mutation profonde de la demande
Le débat aura mis en lumière un basculement majeur dans la distribution de l’ameublement : le consommateur ne cherche plus un produit, mais un projet, une vision globale, un accompagnement sur-mesure. Les enseignes, tout comme les industriels, se réinventent pour répondre à cette attente, en misant sur une offre transversale, mais experte, dans chaque domaine.
« Devenir multispécialiste, ce n’est pas faire un peu de tout, c’est faire tout très bien », conclut Benjamin Coppens. Une exigence de qualité et de cohérence qui pourrait bien redéfinir durablement les contours de la filière ameublement.
EspritMeuble
Visionner la vidéo de la table ronde : Passerelles entre cuisine, living et chambre: un levier de croissance pour les acteurs de la filière de l'ameublement
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